Télécharger l'homélie de Mgr Pascal Delannoy (9/12/2018)
Aimer jusqu’au bout
Qu’ont-ils fait d’extraordinaire ces 19 hommes et femmes, prêtres, religieux, religieuses, moines, évêque qui, hier après-midi, ont été béatifiés, à Oran ? Ils ont prié, enseigné, soigné, réconforté… Ils ont aussi beaucoup reçu d’une culture et d’une religion qui n’était pas la leur. Ce don de soi et l’accueil de l’autre, pour ce qu’il est et non ce que l’on souhaiterait qu’il soit, les chrétiens l’appellent « amour ».
Dans le contexte qui était le leur, la vie des 19 martyrs d’Algérie est une belle illustration des mots de Paul entendu dans la deuxième lecture : « Je demande que votre amour vous fasse progresser de plus en plus dans la pleine connaissance et en toute clairvoyance pour discerner ce qui est important ». Parce qu’ils aimaient l’Algérie, parce qu’ils aimaient ses habitants, ces 19 martyrs ont progressé dans la connaissance d’eux-mêmes, de leurs frères en humanité et de Dieu. Dans la rencontre et le dialogue avec le peuple Algérien, ils ont appris à reconnaître ce qui est important, non pas à leurs propres yeux, mais aux yeux de Dieu. N’est-ce pas d’ailleurs ce décentrement d’eux-mêmes qui leur permettra en toute liberté, le moment venu, de choisir de demeurer en Algérie ? C’est ainsi que Soeur Paul-Hélène pourra répondre à son évêque qui lui conseillait de changer le plus souvent possible d’itinéraires pour se rendre à son travail : « Mais père, nos vies sont déjà données ».
Qu’ont-ils fait d’extraordinaire ces 19 hommes et femmes ? Aux yeux des hommes, ils ont donné leur vie, aux yeux de Dieu, ils ont aimé jusqu’au bout ! Comment alors ne pas associer à notre action de grâce de ce matin ces milliers de musulmans qui, durant les années de guerre civile qu’a traversé l’Algérie, ont payé de leur vie leur refus de la violence et de la haine. Eux aussi ont aimé jusqu’au bout ! Nous ne pouvons oublier que le sang de Mgr Pierre Claverie et celui de son chauffeur musulman, Mohamed Bouchikhi, se sont trouvés mêlés devant la porte de l’évêché. Et Christian de Chergé, prieur du monastère de Tibhérine, au début de son testament spirituel que nous écouterons tout à l’heure écrit : « J’aimerais que ma communauté, mon Église, ma famille, se souviennent que ma vie était donnée à Dieu et à ce pays… Qu’ils sachent associer cette mort à tant d’autres aussi violentes, laissées dans l’indifférence de l’anonymat ».
Qu’ont-ils fait d’extraordinaire ces 19 hommes et femmes ? En ce deuxième dimanche de l’Avent, nous ne sommes pas invités à considérer ces hommes et ces femmes comme des « super-héros » mais comme des croyants qui avaient tout remis entre les mains de Dieu. Ils savaient qu’avec Lui, et quoi qu’il advienne de leur vie, les ravins de l’injustice finiraient par être comblés, les montagnes et les collines de la haine abaissées, les passages tortueux de la rencontre et du dialogue redressés.
En ce deuxième dimanche de l’Avent, ces martyrs nous remettent au coeur de la foi chrétienne : aimer ! Aimer simplement, mais jusqu’au bout, en paroles et en actes, en famille, au travail, au lycée, dans l’un ou l’autre engagement… Le frère Henri Vergès disait : « Le Christ doit rayonner à travers nous. Le cinquième évangile que tout le monde peut lire, c’est celui de notre vie ». Ces martyrs ne nous invitent pas à être des chrétiens extraordinaires, eux-mêmes ne l’étaient pas, mais des chrétiens ordinaires qui se laissent guider par cette parole de l’apôtre Paul : « Celui qui a commencé en vous un si beau travail le continuera jusqu’à son achèvement au jour où viendra le Christ Jésus ».
Comme les martyrs d’Algérie, laissons Dieu travailler en nous en acceptant de ne pas tout maîtriser mais, habités par la foi, que quoi qu’il advienne, un jour, son Fils Jésus viendra à notre rencontre ! Amen.
+ Pascal Delannoy
Évêque de Saint-Denis-en-France