Le corbeau et le renard : produire local n’est pas une fable
Ces derniers jours, les médias ont parlé abondamment de la béatification des martyrs de l’Algérie, qui a eu lieu le samedi 8 décembre à Oran. Ayant participé aux événements, voici un témoignage personnel.
Parmi les 19 religieux et religieuses béatifiés se trouve Odette Prévost, une petite sœur du Sacré-Cœur de Charles 
de Foucauld. Vingt membres de sa famille et de sa congrégation se sont rendus en Algérie pour prendre part aux célébrations. Le gouvernement algérien, par un souci de sécurité, avait restreint l’accès au pays ; en effet, nous étions escortés par la police en permanence.
Le vendredi 7 de décembre au soir, une veillée de prière a été organisée à la cathédrale d’Oran. Il ne fallait pas s’attendre à une cathédrale de la dimension de Notre-Dame de Paris ! Si l’édifice est petit, à la taille de la communauté chrétienne oranaise, il a su accueillir chaleureusement les pèlerins, qui ont écouté nombre de témoignages, entre autres ceux de Chantal Galicher, petite sœur du Sacré-Cœur et de frère Jean-Pierre, trappiste, tous les deux survivants des attentats. Se trouvait aussi présente la maman de Mohammed, le jeune algérien qui a été tué avec Pierre Claverie, au moment d’aller le chercher en voiture à l’aéroport. Le climat de recueillement a été créé grâce à la profondeur des témoignages, les chants en français et en arabe, et les paroles bienveillantes de Jean-Paul Vesco, évêque d’Oran.
Le matin du samedi 8, les familles des martyrs ont été invitées à se rendre à la mosquée d’Oran, où une délégation officielle les a accueillies. Puis le convoi, autour de 500 personnes, toujours escortées par la police, a pris la route du sanctuaire de Sainte-Croix afin de participer à la béatification. Sur l’esplanade bien ensoleillée, il y avait place pour les familles, les dignitaires nationaux – civils et religieux –, les ambassadeurs de plusieurs pays, la presse accréditée, etc. Au total, seulement 1500 personnes ont pu vivre en directe la célébration, quoique d’autres pèlerins étaient rassemblés à la cathédrale pour suivre ensemble l’eucharistie, grâce à la retransmission de KTO.
Tout au long de la célébration eucharistique, présidée par le Cardinal Becciu, a résonné très fort un message unanime de paix, de fraternité et de réconciliation. « Ce n’est pas la dimension "martyriale" des martyrs, le fait d’avoir été assassinés au nom de leur foi, qui a été mise en valeur, mais plutôt le témoignage de leurs vies données à Dieu et au peuple algérien, duquel ils étaient devenus des frères et des sœurs. » Ce témoignage personnel et communautaire est une invitation permanente à construire la fraternité au-delà de toutes les blessures du passé, qui ont tant meurtri l’Algérie. Le message du pape François, l’homélie de Mgr Becciu et les interventions de Mgr Vesco ont suivi cette même ligne.
À la fin du rituel de la béatification, un grand portrait des 19 martyrs a été posé derrière l’autel. Avec leurs photos, on pouvait lire leurs prénoms, entremêlés avec beaucoup d’autres prénoms – en français et en arabe – des personnes qui avait été tuées aussi pendant les années noires. En procession, deux objets particuliers ont été apportés jusqu’à l’autel. Le premier, une icône des nouveaux bienheureux ; le deuxième, un reliquaire contenant la Bible de Christian de Chergé, l’anneau de Esther Paniagua et une étole de Pierre Claverie.
La cerise sur le gâteau, après une eucharistie très belle et très priante, a été la représentation de la pièce « Pierre et Mohamed », interprétée le soir-même, à l’hôtel où logeaient les familles. Le scénario et l’interprétation, magnifiques, ont permis d’approfondir la connaissance du lien qui unissait Pierre Claverie avec son jeune ami musulman, qui était devenu beaucoup plus qu’un chauffeur : un vrai compagnon, conscient du risque, qui a décidé de donner lui aussi sa vie. La présence de la maman de Mohamed a rendu l’acte encore plus émotif.
Le ministre des Affaires religieuses, comme l’a expliqué Mgr Vesco, n’avait pas voulu que les familles rentrent en France sans avoir eu l’opportunité d’aller prier sur les tombes des défunts. Lui-même a facilité l’organisation des voyages vers les lieux où sont enterrés les bienheureux, ainsi que leur logement. Le dimanche, de bon matin, nous sommes partis, chacun vers sa destination. Après un voyage bien plus long que prévu, à cause du relais des escortes, notre groupe est arrivé au cimetière chrétien d’Alger, où nous avons vécu un temps de prière avec les familles de Henri Vergès, Paul-Hélène, Bibiane et Angèle-Marie, tous les quatre enterrés à Alger aussi bien que notre sœur Odette.
Pour conclure, ce fut deux journées pleines de belles rencontres. Nous avons eu la grande joie de dîner chez Samia et Malek, la famille qui a vécu dans la même cour que les petites sœurs jusqu’au jour des attentats ; ce sont eux qui continuent à habiter l’ancienne maison de la fraternité. Des retrouvailles mémorables autour d’un couscous fait d’amitié et de fidélité.
Le temps perdu pendant le voyage nous a empêchés de suivre à la lettre le programme. Par conséquent, nous n’avons pas pu participer à la messe d’action de grâces qui a eu lieu le soir-même à la cathédrale de Notre-Dame d’Afrique, à Alger. Et pourtant, la table ouverte chez Malek et Samia a eu pour nous un profond goût eucharistique : un grand MERCI pour la vie reçue, partagée et donnée jusqu’à l’infinie de l’amour.
Margarita Saldaña,
Fraternité des Petites Sœurs du Sacré-Cœur de Charles de Foucauld
(c) Petites Soeurs du Sacré-Coeur de Charles de Foucauld
Béatification des martyrs d'Algérie, témoignage du Père Raphaël Deillon from Diocèse de Marseille on Vimeo.
Témoignage des années passées dans ce pays avec ses frères et sœurs missionnaires,
la communauté chrétienne, les liens tissés avec le peuple d'Algérie.
Béatification : « Musulmans et chrétiens, sur le chemin de la réconciliation et de la paix »,
par Mgr Claude Rault. Père Blanc, évêque émérite du diocèse de Laghouat-Ghardaia (Algérie)
