Dimanche après-midi à Tous les Saints après la messe et le repas, cinq témoins qui œuvrent dans des associations de nos paroisses ou dans leur quartier ont partagé simplement comment ils sont au service de leurs frères et ce que ces rencontres changent dans leur vie ou dans leur foi en Jésus-Christ. Ils sont engagés dans le soutien scolaire, dans l'accueil de femmes réfugiées, le Samu social, le Secours catholique et l'action avec les locataires de la cité.
Le thème a été choisi par les EAP (Equipes d'animation paroissiale) suite à la présentation du livret du diocèse "Vivre le service du frère", à la formation pour la mission locale sur le thème de la solidarité, à des situations concrètes de personnes venant chercher refuge à la paroisse le soir (famille rom, malades psychiatriques, famille de réfugiés, jeune mineur du Mali) et de personnes habitants notre ville.
Témoignages
Secours Catholique : Lory et une équipe
la permanence du Secours catholique existe à Bobigny depuis le mois de janvier 2018. Nous assurons des permanences tous les mardis matin de 9h30 à 12h. La première chose que nous faisons, c'est d'écouter la situation des personnes. Elles sont souvent envoyées par les Assistantes sociales ou l'hôpital Avicenne. Nous ne donnons pas d'argent mais nous les orientons vers les services concernés. Nous envoyons les dossiers à la délégation de Rosny-sous-Bois et ce sont eux qui décident s'ils accordent une aide en fonction de la situation. Nous n'avons pas de stock de vêtements mais nous orientons vers le Secours populaire ou le Secours catholique du Blanc-Mesnil.
Les personnes ont besoin de retrouver l'estime d'eux-mêmes. Nous entendons : "J'ai honte de venir frapper à la porte et dire que je n'ai pas". Nous voulons les aider à reconquérir leur dignité. Le pape François nous dit : "d'aller vers les plus pauvres et leur donner une dignité".
Sur le plan humain, c'est difficile. Nous avons peur des pauvres. Nous sommes démunis, on dort mal la nuit.
Nos gouvernants ne donnent pas les moyens pour s'en sortir. Il faut savoir que pour les loyers en retard, l'APL (L'aide personnalisée au logement) est coupée. Il faut faire très attention aux dettes.
Engagement auprès des personnes âgées et malades, des femmes réfugiées au Champ de Booz :
Eliane, religieuse à Bobigny
Vivre la fraternité à Bobigny… j'ai repris le texte d'Isaïe 54 : "Elargis l’espace de ta tente ; Qu’on déploie les couvertures de ta demeure : déploie tes cordages... ! "A moi Eliane, à nous, à nos paroisses cet appel peut être adressé : "Elargis l'espace de ta tente".
Une tente pour s'abriter, pour loger des refugiés, pour accueillir des victimes d'intempéries, pour faire la fête, pour partir en vacances.
Nous avons différentes manières de le faire :
Avec le SEM (le Service évangélique des malades) vers les personnes âgées, les malades, avec le Centre de rééducation. Trop souvent on les oublie. Se faire proche, s'asseoir à côté d'eux. Elles ont parfois un sentiment d'abandon et d'angoisse face à la mort.
Depuis trois ans au Champ de Booz près des femmes réfugiées demandeuses d'asile. A l'initiative de congrégations religieuses avec une dizaine de laïcs, nous travaillons bénévolement pour les accueillir et chercher avec elles comment résoudre les problèmes. Elles viennent de la Syrie, du Tibet, de l'Afrique… elles sont de plus en plus nombreuses et de plus en plus jeunes... Elles ont eu des parcours difficiles, guerres, violes, tortures, excisions… Elles appellent le 115, mais sans succès. Nous les informons sur leurs droits mais aussi sur les risques des trafiquants, des passeurs, de la drogue, de l'esclavage domestique auprès de compatriotes… Nous leur proposons un hébergement jusqu'à l'obtention de leurs statuts. On leur demande une participation car elles touchent l'ADA, une aide de l'Etat tant qu'elles sont dans leurs démarches. Elles participent à des cours de français et à des temps de convivialité, de sorties quand nous pouvons. Actuellement, nous avons vingt lieux d'hébergement. 24 femmes sont logées, mais avec une liste d'attente de 40 personnes. Nous collaborons avec le Secours catholique la Cimade, mais aussi des paroisses.
Comment je vis ma mission ? Le Pape nous dit : "On ne répond pas aux besoins des pauvres par procuration, mais en écoutant leur cri et en s’engageant personnellement". Et j'entends cette parole "quitte ton pays". Elles ont tout quitté. Elles ont été et sont souvent humiliées jusqu'à chez nous dans nos administrations, par exemple. J'apprends à me laisser déranger, à faire tomber les préjugés. Cela demande un travail sur soi pour écouter jusqu'au bout. Elles ont chacune un nom, une histoire. Ma prière se fait cri, colère, supplication, mais aussi action de grâce devant l'amour de Dieu qui se fait proche.
"Les pauvres ne sont pas un problème mais une ressource pour entendre l'Evangile et le vivre".
Le Samu Social : Ludgy
Je travaille au Samu social, c'est ce que vous appelez souvent le 115. En fait le 115, c'est une plateforme téléphonique à l'intérieur du Samu social. Il y a en plus du 115, le projet Elan qui organisent de l'hébergement chez des personnes retraitées ou seules, volontaires, les maraudes de nuit, le socio-médical CHU. Le Samu social est sous le chapeau de l'Etat, ce sont des agents de service public.
Je suis dans le pôle hébergement en hôtel : 540 hôtels en Île-de-France. Il y a les intervenants et les médiateurs, les opérateurs. Environ 200 dossiers sont traités chaque jour, 3 600 personnes sont logées chaque jour mais il y a aussi malheureusement 400 personnes "DNP" (Dossiers non pourvus) par jour. Ça fait mal.
Travailler au Samu social ça a changé ma vie. On ne regarde plus l'être humain comme avant. On est quotidiennement confronté à la souffrance. Il y en qui travaillent et n'ont pas de logement. Il suffit qu'une personne soit licenciée et n'aie plus les revenus pour payer son loyer pour se retrouver à la rue.
Un jour, à 3h du matin, j'avais accompagné un SDF dans un centre d'hébergement, et j'avais joué avec lui au babyfoot. Il a voulu me payer un café. Je voulais le payer moi. Il m'a montré ce qu'il avait récolté dans la journée : 5 euros. Et il a tenu à me payer le café pour me remercier d'avoir été là et d'avoir joué au babyfoot avec lui. Il m'a dit une phrase que je n'oublierai jamais : "ce qui rend un SDF heureux c'est un sourire et un regard".
Logement social et Amicale des locataires : Raymonde
"Dieu ne peut pas diviniser ce que l'homme n'a pas humanisé." Mon action se situe sur le quartier avec les résidents au sein d'une Amicale de locataires. C'est du bénévolat. Je rencontre le monde entier dans la cité. Pour accéder à la propriété, il faut des moyens, et aujourd'hui nous voyons beaucoup de constructions avec accession à la propriété. Pour maintenir le logement social, c'est un combat de toute la population, car le bailleur cherche à se faire de l'argent… Il faut construire le "nous". Sinon, nous n'avons pas de poids. C'est pour cela qu'il faut voter quand il y a les élections de vos représentants. Sinon, comme c'est le cas en ce moment et comme me l'a dit Ahmed : "c'est de notre faute, on ne s'est pas mobilisés quand c'était le moment et maintenant c'est trop tard…". C'est de notre responsabilité de citoyen.
Ma foi ? Pour moi, c'est par notre action humaine que nous construisons un monde de frères : avoir un toit pour tous, une vie digne, debout. Le Christ est venu sauver tous les hommes. Dans le dialogue, on apprend à découvrir l'autre différent, dans ses moments de souffrance, confrontés aussi parfois à la mort. Le Christ n'a pas couru le monde mais il s'est fait proche. J'apprends à me laisser déranger par les voisins qui viennent sonner. Ce sont toutes ces rencontres qui me nourrissent et qui nourrissent ma prière. Comme Jésus avec Zachée, l'aveugle, le centurion… Je parle à Dieu de toutes ces rencontres. C'est une conversion pour être plus proche de l'autre. En fait, pour moi ce n'est pas "qu'il faut se convertir", mais l'Evangile pour moi c'est le coude à coude avec l'autre qui me convertit. Un peu comme des galets qui se frottent, se polissent et s'arrondissent au bord de la mer.
Soutien scolaire : Andréa de l'Aset 93
L'origine de cette association était pour le soutien scolaire aux enfants des familles Roms, de Roumanie et de Bulgarie, des pays de l'Est, vivant dans des bidonvilles. Cette population a souvent été réduite en esclavage jusqu'au 19e siècle et a subi l'holocauste. Ils sont environ 20 000 en France, mais souvent les médias ne montrent que les problèmes. A Bobigny, jusqu'en 2014-2015, il y avait ces bidonvilles dont les Coquetiers. Mais sans domiciliation, il n'y a pas de droits. Bien sûr, il y a des problèmes mais beaucoup de familles veulent s'intégrer. C'est une population plutôt stable, mais souvent ignorée et invisible. En expulsant les bidonvilles, je ne dis pas que les bidonvilles c'est bien, mais on créé encore plus d'instabilité. Les familles vont d'hôtels en hôtels sociaux ou dans les parkings ou dorment dans des voitures. On les marginalise encore plus alors qu'elles voudraient s'intégrer.
Le soutien scolaire a été créé pour aider les enfants. Des écoles ont joué le jeu et ont aidé. C'est une goutte d'eau dans la mer. On avait un camion école qui allait sur les terrains, pour donner confiance aux familles.
L'origine du soutien scolaire à Bobigny a été l'expulsion du bidonville en 2015.
Nous sommes dans les locaux de la paroisse Saint-André le jeudi après midi et nous accueillons aussi d'autres enfants, qui ne sont pas Roms, avec des bénévoles paroissiens ou non. On commence par le goûter et il y a aussi des jeux. L'accompagnement individualisé valorise les enfants.
Nous essayons de créer un climat de confiance, d'amitié, qui permettent une réassurance, aussi pour les parents. Nous avons besoin de bénévoles !
Les participants à l'après-midi se sont ensuite regroupés en petits groupes pour un échange : dans ce que j'ai entendu, qu'est-ce que je retiens ? Qu'est-ce que j'ai découvert ?
- la proximité change le regard avec un cœur ouvert
- donner de son temps : on se convertit en rencontrant l'autre
- on découvre d'autres valeurs
- la citoyenneté, un élément important de participation pour changer ce monde.
Deux propositions concrètes pour Bobigny
- Trois femmes de l'association Champ de Booz du Tibet et de l'Afrique seront logées prochainement dans un logement appartenant à la paroisse. Chacun pourra apporter un soutien dans l'accompagnement.
- Ludgy propose dans ce temps hivernal d'aller en petits groupes à la rencontre des personnes SDF qui vivent dans les stations de métro sur la ligne 5, en leur apportant des boissons chaudes, des petites choses à manger et un peu de réconfort et d'amitié.
Nous terminons par un temps de prière pour remercier le Seigneur pour cet après-midi et cette journée en lui confiant chacun de nous, nos paroisses et tous nos frères et sœurs qui souffrent et qu'on ne voit pas. Que Marie nous aide à porter la tendresse du Père.
P. Dominique Pellet,
pour les paroisses de Bobigny