Au terme de 56 ans de ministère presbytéral, je me pose cette question : « ai-je bien été ce pasteur qui a regardé et aimé chacune et chacun avec assurance, leur ayant permis de s'ouvrir à l'amour de Dieu ? ». J'ai toujours eu cette conviction qu'en donnant confiance, on restaure la vie. Donner confiance, c'est croire en l'autre, c'est discerner chez lui cette étincelle de l'amour de Dieu présent en son être. Donner confiance, c'est faire éclore en l'autre ces capacités d'amour et de don. Donner confiance, c'est mettre en lien, en relation : « tu n'es pas seul ! ». J'ai toujours aimé la phrase de Pierre à la Belle porte à Jérusalem : « de l'argent, je n'en ai pas, mais l'amour de Dieu que j'ai en moi, je te le donne. En son nom, lève-toi et marche ».
Nos quartiers et cités, notre société, notre monde, crèvent d'un manque d'amour ! Pourquoi la confiance n'est-elle plus là ? Parce ce que l'on attend un sourire, une poignée de main, un bout de chemin fait ensemble. Comme l'entendait Isaïe dans sa prière, nous avons besoin nous aussi de l'écouter cette belle phrase : « tu as du prix à mes yeux, tu comptes pour moi et je t'aime ! ».
Toute ma vie de religieux et de prêtre pendant ces 56 ans en pastorale a été relation , rencontre avec Dieu et avec mes frères et sœurs auxquels j'étais envoyé, rencontre avec le peuple des quartiers populaires dans un mouvement constant de don et d'accueil.
Ce qui a été déterminant sur ma route de Fils de la charité, ce pèlerinage de ma foi, c'est que dès le début de mon ministère, en juillet 1963, à Vierzon, j'ai vécu dans une communauté de Fils avec des prêtres ouvriers et des prêtres au travail à temps-partiel. Ces frères, dès le départ, m'ont vivifié et orienté. Mais ce qui aura été le fil conducteur de ma vie de Fils, c'est l'accompagnement en Action catholique spécialisée, tout au long de mes nominations en province - Vierzon, Bourges et la Chapelle Saint-Luc - et en Île-de-France - Paris, Paray-Vieille-Poste, Athis-Mons, Morangis, Savigny-sur-Orge et La Courneuve. Je suis un religieux prêtre façonné par ces jeunes, femmes et hommes, accompagnés en JOC, en ACO, en JIC, en ACI, en ACF et MCR. J'y ai appris à écouter l'autre pour me remettre en cause. Le principe du dialogue, c'est rencontrer l'autre dans son attente. Je dois passer de la rencontre à la communion, de la communion locale à la communion universelle. Dans l'eucharistie, je sers la communion universelle. Je rends grâce aussi d'avoir été appelé dans diverses structures d'Église, dont chacune m'a permis d'élargir mon regard. Cinq ans après mon ordination, j'étais en mai 1968, au Conseil national de l'aumônerie de l'Enseignement public. De 1991 à 1995, j'étais au Conseil national de l'aumônerie de la JIC, puis aumônier national de la JIC de 1995 à 1998. Je voudrais aussi exprimer ici ma reconnaissance pour ces belles années partagées avec les Frères des Écoles chrétiennes et la famille lassallienne, qui m'ont enrichi. Avoir élargi ainsi mon regard ministériel m'a profondément consolidé dans mon amour pour l'Église.
J'évoquerai encore ma présence dans divers engagements de la vie associative. À Bourges : radio, journal d'habitants, régie de quartier. Et à la Courneuve : comité de voisinage, conseil citoyen, coordination des personnes âgées, rénovation urbaine. Cette présence a toujours été, non pas personnelle, mais bien celle d'une communauté religieuse Fils partie prenante de la construction d'un bien commun, d'un vivre ensemble à bâtir. La fraternité est l'axe de la citoyenneté. La peur de l'autre, différent, amène le mal-être, l'insécurité. Il faut se reconnaître frères et sœurs en humanité. Pour cela, chaque jour, il faut repousser la mondialisation de l'indifférence, par notre compréhension, notre accueil, notre solidarité. Je dois toujours passer de la culture du rejet à la culture de la rencontre. Le Christ s'est fait frère. Nous sommes tous frères d'un même Père. Et grâce à mon engagement à l'Association Pour la Promotion d'une Solidarité élargie et citoyenne des ministres des cultes et membres des congrégations (APSECC) depuis sa fondation, j'ai pu voir plus clair avec d'autres et vivre une solidarité active avec l'ensemble des citoyens.
Je dirai, en terminant, que ma foi est cette force intérieure qui me porte et me pousse en avant vers le Christ qui m'interpelle chaque jour. C'est au cœur de ce « cœur à cœur » avec Dieu que j'ai toujours offert les peuples auxquels j'ai été envoyé. Je rends grâce pour l'appel que m'a fait l'Église et je rends grâce d'avoir dit « oui». S'il y a du « cléricalisme » dans l'Église, je voudrais, dans ce qui me reste à vivre, aider à la faire comprendre et à la faire aimer. La comprendre et l'aimer dans ce qu'elle a de beau, de grand, dans son humanité, dont chaque jour le pape François nous donne un beau visage. Nous sommes tous fils bien-aimés de Dieu qui porte sur tous nos quartiers un regard de miséricorde. J'ai toujours essayé de me mettre aux pieds de Jésus me parlant au cœur des plus petits, des précaires, des blessés de la vie, des « sans ». Et cela, en essayant de transmettre courage, force et espérance dans l'invitation à grandir en humanité.
Entrant à la communauté Saint Joseph, je poursuis ma marche sur la route de la foi, en communauté d'Église avec tous ceux et celles, depuis Pierre et Paul, qui ont bâti la « Maison sur le roc ». Ma mission sera maintenant d'avantage comme religieux et prêtre Fils de la charité de « prier, de contempler, d'adorer ». N'est-ce pas là une clé pour vivre en Église ? Je vais essayer d'entreprendre une relecture de ma vie dont la fécondité pastorale trouve sa source dans l'oraison. J'attends maintenant d'embrasser le Père Anizan, pour lui dire ma reconnaissance et mon amour d'avoir choisi ce chemin de FILS DE LA CHARITÉ derrière lui.
Régis Tillet, Fils de charité
Témoignage paru dans "Chantiers", la revue des Fils de la charité (n°202, juin 2019)