On note une affluence croissante à ces conférences, avec une plus large participation des croyants juifs et musulmans où chacun ose prendre librement et sereinement la parole après les interventions des responsables religieux.
Père Frédéric Benoist, curé du Raincy :
Dans notre Occident, la raison pure semble de plus en plus s’opposer à la foi; dès que l’on parle religion, on sent une réticence, particulièrement propre à la France, ce qui suscite beaucoup d’incompréhension de la part des croyants. On voudrait supprimer de nos sociétés toute référence religieuse. Il ne faudrait pas opposer si vite raison et foi.
Le pouvoir ne doit pas revenir aux religions, mais on ne doit pas oublier les réelles valeurs de vie en communauté dictées par nos différents textes sacrés : une société qui dialogue en religion est une société qui grandit en humanité.
Certes, l’attitude des religieux ne doit pas être prosélyte, mais doit nous aider à dialoguer, nous écouter, à nous connaître et grandir. Nous l’avons peut-être oublié, nous refermant sur nous-mêmes, prenant peur des autres traditions et pensées religieuses…, « l’autre » devenant un danger potentiel. On en revient alors à stigmatiser tel ou tel courant religieux.
Il est du devoir des responsables religieux de faire taire certaines peurs au sein de leurs communautés. Mais la société civile elle aussi, ne doit pas avoir peur des religions : la preuve, cette réunion ce soir est à l’initiative de Monsieur le Maire de Livry-Gargan.
Toutes les religions peuvent apporter leur contribution au vivre ensemble dans notre société.
Les plus grands dangers que nous puissions craindre sont le repli et le vide spirituel de certains de nos contemporains, notamment chez les jeunes générations. Cela conduit à des dérives dangereuses.
Le pape Benoît XVI le rappelait dans son discours au monde de la culture, lors de sa visite aux Bernardins et son voyage en France : pour beaucoup, Dieu est devenu le grand inconnu. Une culture purement positiviste serait la capitulation de la raison humaine, un échec de l’humanisme.
Pasteur Serge Wuthrich :
Il semble que l’on fasse une confusion dommageable entre culture de l’impertinence (dans les médias tels que Charlie Hebdo, Fluide glacial ou le Canard enchaîné mais aussi avant eux les caricatures de Daumier par exemple) et la liberté d’expression, garantie par l’Etat et encadrée par les lois.
Il est intéressant de noter que la liberté d’expression garantie par la loi française est bien plus encadrée et restreinte que dans d’autres pays, comme aux Etats-Unis où l’on peut finalement émettre « légalement » des avis de nature xénophobe. La loi française compte ainsi environ 400 restrictions. A contrario, la France a toujours développé une certaine culture de l’impertinence, bien plus largement que dans d’autres pays.
Mais au fond, qu’est-ce que l’impertinence ? C’est en quelque sorte se placer « en surplomb », par rapport à un événement, une personne. Ce n’est pas se placer en « dialogue ». C’est pourquoi il n’y a pas de possible « récupération » par les politiques, puisque l’impertinence n’est pas « dialogue ».
D’où la question, comment bâtir ce vivre ensemble s’il y a une telle méprise ?
La loi de 1905 garantit la liberté de culte, et le droit de « choisir » de se rattacher ou pas à une religion.
Qu’est devenu aujourd’hui ce mode de tolérance ? On semble passer aujourd’hui à une culture de l’individualisme, d’où ce problème croissant de lien social. On ne peut pas confiner la religion au seul for intérieur de l’être humain, du fait même de l’étymologie du mot religion : du latin religerer = relier.
C’est pour cela que les religions ont un rôle à jouer dans le lien social. Nous avons une vraie culture du dialogue, nous, religieux et croyants, à faire valoir dans notre société. La connaissance de l’autre est un réel antidote à ce mal-vivre.
Imam Lahcene Lablack :
C’est une vraie richesse de pouvoir s’exprimer devant un auditoire si différent, tant durant nos conférences interreligieuses que dans nos interventions ensemble en lycées ou lieux de culte.
Ces rencontres contribuent au rapprochement avec les fidèles des autres religions. Un verset du Coran dit d’ailleurs que « nous avons fait de vos tribus un peuple, afin que vous vous connaissiez ».
Nos interventions communes en établissements scolaires ont permis aux lycéens de poser de multiples questions, faire tomber des préjugés, comprendre le « vrai » et le « faux ». Il n’y a rien de plus efficace qu’une rencontre ensemble, pour des jeunes, face à la fois à un prêtre, un imam, un pasteur et un rabbin.
Nous avons un droit : vivre notre religion, mais aussi un devoir : celui de respecter les lois de la République. Et si l’on considère que les propos antisémites ou islamophobes sont interdits, cela conduit à dire qu’il n’y a pas de liberté d’expression absolue.
La communauté musulmane a été blessée par les caricatures, du fait de sa considération pour le Prophète.
Pour autant, même si les caricatures contre Mahomet blessent, le prophète a toujours incité, via le Coran, à ne pas y répondre. Même lorsque la communauté musulmane est malmenée. Des sourates du Coran le disent : « Les serviteurs du Tout-Miséricordieux » sont ceux qui marchent en paix sur terre (...) Ne discutez que de la meilleure façon avec Chrétiens et Juifs ». Le Coran incite à la patience, au dialogue, mais pas à la violence.
Enfin, extraire un verset du Coran, le sortir du son contexte, notamment lorsqu’il parle de violence, conduit à de fausses interprétations. Il faut faire appel à l’exégèse pour le comprendre. Pendant la période mecquoise de 13 années, le prophète a enduré les souffrances sans jamais répondre. Le musulman doit suivre le prophète, dont Dieu a dit qu’il était « modèle à suivre ». Et même si un musulman est blessé, il ne doit pas répondre par la violence : une sourate dit « Quiconque tue une âme, c’est comme s’il tuait le monde ».
Rabbin Moshe Lewin :
Il n’est rien de pire que l’ignorance pour créer des préjugés.
Dans le Judaïsme, l’interdiction de blasphème ne vaut que pour les croyants juifs à propos de leur propre religion. Les autres croyances ne sont pas concernées : « Tu ne maudiras pas Dieu, ni ne maudiras un chef de ton peuple » (Ex. 22,7).
Il s’agit pour les Juifs de respecter le pays où l’on vit, et de respecter Dieu dans le pays où l’on vit. On compte sur la maturité de chacun.
Il faut être capable de dépasser sa foi pour rencontrer « l’Autre ». Un midrash dit « même sur le visage d’une idole, se reflète le visage du divin ».
Les religions doivent s’épauler, et ne pas « laisser faire ». On peut aspirer à la paix, mais cela demande des effort, c’est un « travail », comme nos frères chrétiens l’entendent lorsqu’ils parlent « d’artisans de paix ».
Notre société est à l’image d’un orchestre, où chacun joue d’un instrument différent, et où la conjugaison des différents sons et voix composent une mélodie. Chaque communauté religieuse doit travailler ; chaque représentant religieux doit être à l’œuvre. C’est alors que la notion de laïcité ne posera plus de problème : la laïcité ne doit pas être perçue comme « un combat » mais « comprise avec intelligence ».
Propos recueillis par Martine Konzelmann